J’ai demandé un moratoire sur la 5G. Voici pourquoi.

Je suis intervenu au Conseil municipal du 22 octobre 2020, au nom du groupe des écologistes, pour demander que la Ville du Mans adopte un moratoire sur le déploiement de la 5G. Nous avions déposé un vœu allant en ce sens (1). Découvrez les mots que j’ai prononcés.

« Monsieur le Maire, cher.e.s collègues,

Monsieur le Maire vous m’avez chargé, au titre de ma délégation, d’éclaircir plusieurs sujets, dont celui de la 5G, que je connaissais de loin. J’ai donc lu des dizaines d’articles et rapports, ai interrogé des spécialistes, ai rencontré des acteurs du domaine. Hier encore, je participais à l’Université du Très Haut Débit. Et j’arrive à une conclusion : la 5G pose encore de multiples questions et arrive dans un mauvais contexte économique, avec un timing écologique défavorable.

Il y a deux jours, j’entendais le PDG de SFR vanter les mérites de la 6G, qui serait « indispensable ». Pour quoi faire ? Lui le dit très directement : il s’agit de vendre de la publicité ultra ciblée, qui permette que chacun, en regardant la télévision ou une vidéo sur tablette reçoive le message qui lui corresponde parfaitement, au bon moment, au bon endroit. Que nos déplacements, nos actes d’achats, nos habitudes alimentaires, nos rythmes de vie, remplissent des bases de données qui permettront à des opérateurs économiques de nous connaître mieux que nos parents ou nos proches, voilà son objectif.

Que le PDG de SFR cherche à nous vendre des produits, et à garantir la croissance de son entreprise, est dans la triste logique du marché qui régule notre monde. Mais, nous, en tant qu’élu.e.s locaux, qu’avons-nous à défendre dans cette affaire ? De quel intérêt général sommes-nous défenseurs lorsque nous nous laissons emporter par cette vague ?

Tous ensemble, ce soir, autorisons-nous à interroger ce qu’est le progrès. Jacques Ellul le faisait au début du 20e siècle, époque où certains vantaient le rouge à lèvres au radium radioactif comme un progrès. D’autres, plus tard, ont repris le flambeau, interrogeant l’innocuité de l’amiante, recueillant quolibets et taquineries en réponse. Dernièrement, Bruno Latour interrogeait : « jusqu’à quand va-t-on faire passer pour un mouvement irrésistible les décisions prises par quelques centaines de personnes en lieu et place des millions d’autres directement concernés ? »

Alors, je me permets de donner quelques éléments, parmi tous ceux que nous énumérons dans notre vœu.

Déjà, aujourd’hui, qui, dans la salle est heureux de constater qu’à chaque recherche sur internet d’un voyage ou d’un objet, il est ensuite envahi de publicité pour le même produit pendant des jours ? Qui, dans la salle, souhaite que cela soit multiplié par dix, vingt ou trente ? 

Et c’est pour cela, pour informer, que nous demandons un large débat de société avant de déployer la 5G. Nous souhaitons que les citoyennes et citoyens sachent ce qui se cache derrière les promesses d’usages les plus alléchantes.

Je l’ai constaté, lorsqu’on parle d’internet haut débit, de fibre optique, de 5G avec des élu.e.s locaux, il est bien plus et trop fréquent d’entendre parler de vidéosurveillance qu’on pourra mettre à chaque coin de rue. Et il est bien trop rare que ces mêmes élu.e.s envisagent des usages d’utilité sociale, comme, par exemple, permettre une assistance à distance aux personnes âgées ou une verbalisation automatisée des véhicules dangereux à l’abord des écoles…

Je l’ai aussi constaté tant de fois : nombreux sont nos concitoyens qui pensent qu’en copiant / collant un texte interdisant à Facebook d’utiliser leurs données personnelles, ce site cessera de le faire du jour au lendemain, comme si, par enchantement, on pouvait changer les Conditions Générales d’Utilisation d’un site web tentaculaire par une action aussi simple. Non, bien entendu, cela ne suffit pas. Et il est temps que nos concitoyennes et concitoyens reprennent le contrôle de ce que les technologies de l’information, de plus en plus massives et rapides, font d’eux.

Derrière la 5G, on le voit, il y a bien plus qu’une question technologique. Il y a un choix de société à effectuer.

Il y a aussi des choix sanitaires et environnementaux que nous ne pouvons encore réellement estimer. En effet, les doutes persistent tant du point de vue sanitaire que de la sobriété numérique sur le déploiement de la 5G.

Il y a peu, Ouest France titrait « Déchets électroniques : le fléau ». Le journal, qu’on peut difficilement qualifier de brulot écologiste, expliquait que « le monde croule sous les déchets électroniques, enregistrant un record de 53,6 millions de tonnes en 2019 ». Des tonnes pleines de produits extrêmement polluants, qu’on voit régulièrement dépasser des poubelles déposées dans nos rues, et qui finiront donc dans nos rivières et nos sols.

Avec le déploiement de la 5G, il est de notre rôle d’interroger l’obsolescence accélérée de centaines de milliers de terminaux téléphoniques et de leur possible recyclage, alors qu’ils sont encore en état d’être utilisés. Il est de notre rôle de questionner l’utilité de millions d’objets connectés, qui ne pourraient fonctionner à cette échelle sans la 5G. Récemment, par une fenêtre, j’ai entendu quelqu’un dire « Alexa, programme le four pour dix minutes ». Dans le monde d’avant, était-ce si difficile de tourner le bouton de l’appareil que nous ayons désormais besoin d’un robot connecté pour le faire à notre place ?

Enfin, diverses communautés scientifiques alertent sur les effets collatéraux de la 5G. Pour la déployer, des centaines de milliers de satellites devront être expédiés dans l’espace. Des astronomes, des astrophysiciens, des météorologues alertent sur le brouillage de leurs données à cause de ces nuages de satellites. Eric Allaix, coordinateur national des fréquences à Météo France, explique que « Si on était brouillé de manière forte, ça réduirait de six à dix heures les prévisions. Ça veut dire des alertes plus tardives pour la protection des personnes et des biens ». Et dans des cas comme celui récent de l’arrière pays niçois, des alertes retardées entraîneraient des conséquences encore plus dramatiques que celles déjà connues. Enfin, et c’est peut-être le pire, le même spécialiste précise « Les climatologues perdraient aussi la mesure du changement climatique »… Casser le thermomètre pour ne plus voir le problème, est-ce vraiment ce que nous désirons ?

Nous le savons, demander un moratoire n’a qu’une portée symbolique, puisque notre commune n’a que peu de pouvoir sur le sujet du déploiement de la 5G. Mais le symbolique fait partie de la République, il fait partie du pouvoir que nous avons en tant que représentants de nos concitoyens.

En adoptant ce vœu, par cet acte symbolique, il s’agit de faire parvenir un message au gouvernement, qui a lancé les enchères pour l’attribution des fréquences 5G un peu trop rapidement. Il s’agit de lancer un message aux acteurs des télécoms, pour leur dire que nous ne sommes plus dupes, que nous voulons débattre de ces avancées technologiques qui ne sont pas forcément des avancées pour la société. Il s’agit d’ajouter notre voix à celles de Lille, Rouen, Bourg en Bresse ou encore Blois, qui ont toutes voté un moratoire. Ajouté à ceux de Grenoble, Bordeaux ou Lyon, l’adoption d’un tel vœu confirmerait ce besoin de débat. Il s’agit, enfin, de dire aux Mancelles et aux Manceaux, qui nous interpellent régulièrement à ce sujet, que nous les avons entendus.

Monsieur le Maire, cher.e.s collègues, c’est au nom de ces arguments, et de nombreux autres que je n’ai pas le temps de développer ici, que nous vous proposons d’adopter notre vœu pour un moratoire sur le déploiement de la 5G.

Nous comptons sur vous et sur votre sens des responsabilités.

Je vous remercie ».

S’en est suivi un débat, où la majorité municipale, suivant aveuglement Stéphane Le Foll, a défendu le déploiement de la 5G. Et a donc rejeté notre vœu, ouvrant ainsi la voie au déploiement de la 5G sur notre territoire. Au bénéfice de qui ?

(1) Un voeu est l’expression politique d’un point de vue sur un sujet sur lequel le Conseil municipal n’est pas décisionnaire.

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